mardi 6 juillet 2010

LA GUERRE EN DENTELLES





Ces quelques images d'inspiration donnent envie de légèreté et de transparence dans cette lourde chaleur estivale.
J'aime leur raffinement, leur délicatesse, avec une préférence pour les guipures anciennes chinées aux puces.

La dentelle est un tissu sans chaîne ni trame, en général en fil de soie, lin, nylon ou fibres plus riches selon les cas, exécutés par les dentelliers(ères) à la main ou à la machine, à l'aide de points semblables ou non formant un dessin à bords dentelés ou non.

L'ÂGE D'OR DE LA DENTELLE

L'origine de la dentelle est très difficile à déterminer mais ses premières traces sont relevées dans la région de Venise où elle aurait vu le jour au XVIe siècle.
Appelée au départ passementerie, elle apparaît pour la première fois, sous le vocable de dentelle, en 1545, dans l'inventaire de la dot de la soeur de François Ier.
C'est à Colbert que revient l'initiative d'introduire en France la véritable industrie de la dentelle car auparavant, les produits français ne pouvaient, en aucun point de vue, soutenir la comparaison avec ceux issus d'Italie.
Vers 1665, il fait venir de Venise des ouvrières en dentelle et les établit dans son château près d'Alençon.
Il crée la Manufacture des points de France dont le siège est situé à Paris.
Des édits sévères interdisent d'importer des dentelles étrangères et des avantages considérables favorisent la Manufacture à sa naissance.
Bientôt, Lille, Valenciennes, Dieppe, Le Havre, Honfleur, Pont-Lévêque, Caen, Gisors et le Puy voient aussi se développer ce savoir-faire.
Très vite la France suffit à ses besoins et sa production est même exportée dans les pays étrangers.
A l'époque, la fabrication est manuelle et se fait selon différentes techniques:
- aux fuseaux (dentelle de Chantilly)
- à l'aiguille (dentelle d'Alençon, la reine de la dentelle)
- à la main
- au crochet
- à la navette
Naissent alors la blonde, réalisée aux fuseaux à base de soie écrue ou de fils d'or et d'argent, le chantilly noir ou blanc fait au fil de soie et représentant des corbeilles, des vases ou des fleurs, le Cluny qui est le plus connu, fait de fils continus aux motifs géométriques ou la guipure qui est une dentelle sans fond (les motifs recouvrent tout).
A la cour de Louis XIV, la dentelle envahit la toilette des hommes aussi bien que des femmes. Cette passion continuera sans faillir jusqu'à la révolution ou grands et petits, noblesse et tiers-état l'adopteront.
Elle disparaîtra avec la noblesse à la Révolution mais réapparaîtra à l'ère de l'industrialisation: plus légère, elle sera alors produite en un mois, là où une année entière était nécessaire auparavant.
En 1809, John Heathcoat, jeune mécanicien, inventa près de Nottingham, le premier métier à tulle composé d'un système à bobines et chariot. Un brevet fut déposé et la production de la dentelle en fut totalement bouleversée.
 Les douanes françaises de l'époque ne permettaient pas le commerce avec l'Angleterre et cette dernière interdisait la transmission de sa découverte à l'étranger.
Pourtant, des machines entrèrent sur le territoire français en toute illégalité et en pièces détachées et furent remontées et établies dans le Nord-pas-de-Calais, à Saint-Pierre les Calais et à Caudry.
En 1830, un certain Leavers eut l'idée d'allier la technique jacquard au procédé mécanique de John Heathcoat, faisant ainsi passer le métier à tulle à celui à dentelle, permettant une liberté totale dans la création des motifs.
Bientôt Calais et sa région devinrent renommés internationalement pour la qualité de leur dentelle industrielle imitant la dentelle à la main.
Le XIXe siècle marqua l'apogée de l'industrie française de la dentelle mais le XXe va voir s'effondrer le savoir-faire national pour plusieurs raisons.

LA CRISE NE FAIT PAS DANS LA DENTELLE

Le marché de la dentelle concerne surtout le marché du produit fini. Considérée comme une matière première, la dentelle intéresse surtout la lingerie et la haute-couture. Les maisons qui sont parvenues à se maintenir au cours des XXe et XXIe siècles, l'ont pu grâce à la renommée qu'elles ont su se bâtir dans ces milieux.
La maison Solstiss basée à Caudry en fait partie. Cette entreprise se concentre sur la qualité, quitte à ne pas afficher des prix bon marché, afin de pouvoir remplir ses carnets de commande auprès de la haute-couture et de la lingerie haut-de-gamme. 
Mais ces maisons sont une exception dans le paysage actuel. La dentelle "made in Calais" connaît un déclin qui semble inéluctable.
Jusqu'en 1910, Calais comptait 580 fabricants et 2278 métiers. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 10 et 285 métiers, ce qui représente moins de cinq cent emplois.
Journalistes économiques, Morgane Railane et Thierry Butzbach décrivent dans un ouvrage documenté les raisons de ce marasme (1).
Selon eux, une de ces raisons concerne la mondialisation du marché:
- l'arrivée de la dentelle tricotée "a cannibalisé le marché haut-de-gamme Leavers". Ce dernier a souffert de la concurrence asiatique, tel le japonais Sakae qui s'est fourni en Europe en métiers avant de repartir en Asie. Il fait aujourd'hui partie des quatre géants mondiaux.
- la dentellerie a aussi beaucoup souffert de l'irruption de la "fast fashion" dans la lingerie, dont le suédois H&M a donné le coup d'envoi, avec un "accroissement des volumes commandés mais une baisse vertigineuse des prix".
- enfin, de nombreuses marques françaises de lingerie sont passées sous pavillon étranger et ont donc délocalisé une bonne partie de leur production en Europe élargie, ce dont pâtit l'industrie de la dentelle.
Ces marques tuent le marché en faisant croire qu'elles utilisent de la dentelle de Calais pour justifier leurs prix alors qu'elles utilisent de la broderie.

Mais les effets de la mondialisation n'expliquent pas tout. L'industrie française est également largement responsable de la situation dans laquelle elle se trouve aujourd'hui.
Ainsi, rien n'a réellement été mis en place pour la transmission des savoir-faire en France.
"Toute la génération des tullistes qui a commencé à travailler durant l'après-guerre est partie à la retraite dans les années 80"; Or, eux seuls maîtrisaient totalement les métiers Leavers. Certaines usines ont du aller en chercher pour qu'ils réenseignent leur savoir". Rien n'avait été prévu en amont pour pallier la pénurie des savoirs. De plus, par tradition, les tullistes "choisissent leurs élèves" et transmettent leur savoir-faire à l'oral: aucun mode d'emploi des techniques n'existe actuellement. Les institutions ont du se battre pour conserver la formation des tullistes.
Mais la raison la plus grave du déclin de l'industrie dentellière en France tient surtout à l'attitude de la profession elle-même.
Les entreprises ne sont jamais parvenues à s'entendre et à s'allier pour faire face à la concurrence. Certaines d'entre elles ont connu de graves conflits internes ou ont fait des erreurs stratégiques comme des tentatives d'extension à l'étranger qui leur ont coûté leur place de leader sur le marché.
Elles sont allées jusqu'à vendre leurs propres métiers Leavers en Asie, à ouvrir des filiales, à offrir leur savoir-faire, en quelque sorte.
De plus, elles n'ont jamais fait évoluer leur outil de production, laissant la concurrence fabriquer des machines plus adaptées au marché actuel. Ainsi le métier Raschel qui imite la dentelle va quatre fois plus vite que le Leavers.
Les fabricants français ont fait preuve d'arrogance face à la concurrence et pensaient continuer à faire des profits confortables sans investissements. Ils n'ont pas réalisé que leur position pourrait un jour être concurrencée. 

L'avenir semble donc sombre pour l'industrie dentellière française. Bien sûr, la haute-couture et les grandes marques de lingerie comme Aubade ou Chantal Thomass ou même des entreprises d'ameublement continuent à être clients. Mais les commandes sont extrêmement limitées. Comme l'a compris la société Solstiss, "la dentellerie est vouée à devenir un marché de niche".
L'attitude des pouvoirs publics semble, d'ailleurs, l'avoir déjà remisée sur les étagères du passé en créant à Calais une cité internationale de la dentelle et de la mode, inaugurée le 11 Juin 2009.
Si l'entreprise est louable, elle fait malheureusement l'impasse en son sein, sur la situation actuelle.
Et ce ne sont pas les cinq machines Leavers qui s'y trouvent qui vont permettre d'inverser la tendance. Seul un investissement en recherche-développement ou la conquête de nouveaux marchés permettra au secteur d'être sauvé et de continuer à produire les dentelles les plus fines, les plus légères et les plus raffinées du monde.

1- "Qui veut tuer la dentelle de Calais ?" de Morgane Railane et Thierry Butzbach.

* A voir: "Arsenic et vieilles dentelles", comédie de Franck Capra, 1944
* A lire: La Dentellière de Pascal Lainé, 1972 


* A admirer: La dentellière de Vermeer, 1669-1670, Musée du Louvre, Paris

4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ton blog !
    Très bonne sélection de photos, ton post est très intéressent ! ! :)
    Bisous.

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  2. Love the lace! :- )

    Cheers,
    Gina
    http://ginambiber.blogspot.com/

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  3. Très bon article sur la dentelle, merci beaucoup de ce partage de connaissances :)
    Du coup, j'avais une question, pour ce qui est de la fast fashion, s'agit-il réellement de dentelle? (ex des robes et perf' en dentelle H&M). S'agit-il également de broderie?
    En vous remerciant encore ^^

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