samedi 19 juin 2010

SOUS LE T-SHIRT, DES DESSOUS SALES







A moins d'être tombé dans un trou ou d'avoir pris une cuite qui a duré sept ans, vous n'avez pas pu échapper à la montée en puissance de la marque californienne American Apparel en matière de mode.
Fondée en 1999, la marque a ouvert sa première boutique en France en 2004, place du Marché St-Honoré, avant d'en essaimer six nouvelles à travers la capitale.




UNE VITRINE RUTILANTE

Le succès de la marque au double A tient avant tout à la personnalité de son fondateur, Dov Charney.

Montréalais de quarante et un an, ce dernier cultive un physique et une esthétique photographique proches de ceux du pape de la culture de mode trash, Terry Richardson.

Jeune étudiant aux Etats-Unis, Charney y achète des stocks de t-shirts Fruit of the Loom dont il est un consommateur compulsif et les envoie à ses amis de Montréal, à charge pour eux de les écouler sur le territoire canadien.

Ce qui n'est, au départ, qu'une activité dilettante va devenir un travail à plein temps et aboutir à la création de la marque American Apparel.

Partant du constat que la totalité des T-shirts vendus aux Etats-Unis sont fabriqués dans des usines délocalisées hors du territoire, Dov Charney va avoir une idée de génie: intégrer verticalement toutes les étapes de l'élaboration de ses produits.

Il se vantera de ne pas confier sa production à des ateliers de misère, les "sweatshops" dénoncés par l'écrivain et journaliste Naomi Klein dans son ouvrage "NO LOGO".

Cela devient même un des arguments marketing de la marque au même titre que le sex-appeal du T-shirt ou l'absence de logos.

Malgré de nombreux résultats encourageants, Dov Charney a beaucoup de mal à convaincre les banquiers californiens de le soutenir dans son développement. Rompus aux délocalisations, ils sont effrayés par sa conception "d'intégration verticale", le Made in USA.

Mais le succès sera au rendez-vous, le réseau des boutiques passant de trois au début de l'aventure à plus de 187 à travers le monde, courant 2007.

Mêlant habilement marketing responsable et discours humaniste, Dov Charney implante son usine dans le Downtown L.A, économiquement sinistré, et le fait savoir sur l'étiquetage de ses vêtements.

Le bâtiment abrite plus de 2500 salariés payés plus de 13 dollars de l'heure quand le salaire minimum garanti aux Etats-Unis est de 8 dollars de l'heure. Les employés bénéficient également de diverses formations (cours d'anglais et d'espagnol) et comme l'annonce le site web de la marque, d'une couverture sociale et de santé comme il n'en existe nulle part ailleurs dans le pays.

Fier de ce qu'il a mis en place, Charney se fend de déclarations aux antipodes du discours économique ambiant:


"Nous savons comment gagner de l'argent, nous n'avons pas besoin d'offrir des salaires de misère."


Tout va donc pour le mieux dans le monde merveilleux de la mode devenue éthique et responsable. Alléluia !!!

Le discours fonctionne et les ventes s'envolent; la presse relaie la success-story à coups d'articles et de communiqués commerciaux, les boutiques continuent de se multiplier et de Paris à New-York, on ne compte plus les donzelles affublées de leggings noirs et les boys arborant fièrement leurs "gymbags" ( Qu'on leur coupe les jambes et les bras !!!).

Sans logo, AA parvient à devenir repérable entre mille: street et mode, libre et flashy, sexy et provoc'... La marque fait tourner les têtes malgré un rapport qualité-prix laissant à désirer. Opération réussie.

BACK-OFFICE SORDIDE (BACK-ROOM ?)

Paradoxalement ce n'est pas du côté du produit que le bât risque de blesser, le consommateur étant trop heureux de se laisser berner; mais c'est plutôt la personnalité de Dov Charney qui risque à plus ou moins long terme d'entraîner la chute de l'enseigne.

Derrière le discours marketing humaniste, la réalité est beaucoup moins sympathique.

Tout commence avec le dépôt de plaintes de quatre employées accusant Charney de harcèlement sexuel, paroles (il donnerait de l'affectueux "salope" à ses collaboratrices) et gestes déplacés et outrageants.

Une plainte a été abandonnée, deux ont donné lieu à un arrangement amiable entre les parties, la dernière, celle de Mary Nelson, est maintenue et devrait donner lieu à un procès.

On passe sur le procès intenté et gagné par Woody Allen pour utilisation non autorisée de son image à des fins commerciales et sur l'habitude de Charney d'accorder ses interviews en sous-vêtements.

Face aux surenchères sexuelles du patron d'American Apparel, des voix s'élèvent pour dénoncer le caractère de plus en plus obscène des campagnes de la marque. Le point culminant en la matière, reste l'utilisation de la Star montante du X, Sasha Grey, cherchant son point G pour vendre une paire de chaussettes...

Mais c'est sur le volet social qu'AA s'est sûrement le plus fourvoyé.

UNITE, un grand syndicat du textile aux Etats-Unis, accuse Charney d'empêcher toute tentative de syndicalisation de ses employés. Il serait suspecté d'avoir exercé des pressions sur ses salariés, ces derniers n'osant pas prendre leur temps de pause tant leur charge de travail est importante.

Charney dément, arguant que ses "employés sont heureux" et ajoutant:


"Je bois avec eux, ils dorment parfois chez nous (?). La base, c'est qu'une fois que vous les payez raisonnablement, vous avez leur confiance."

Un brin condescendant et paternaliste, le Dov Charney...

Le scandale le plus grave, car avéré, est celui provoqué par le contrôle du service d'immigration américain au sein de l'honorable maison du T-shirt.

Résultat: Dov Charney va devoir se séparer de 10% de ses salariés, une partie d'entre eux travaillant de façon illégale sur le territoire américain, l'autre partie utilisant de fausses immatriculations de sécurité sociale.

Une tuile n'arrivant jamais seule, la marque s'est vue accusée au mois de Juillet 2009 de n'employer que des "beautiful people". Cette accusation faite au site d'information américain Gawker émanerait d'une source interne à AA.

La direction demanderait à ses managers de prendre une photo de leurs futurs employés afin de valider ou non leur candidature.

Pour éviter tout traçage, les photos sont transmises par le biais des boîtes mails privées du personnel.

La discrimination ne s'arrêterait pas là: d'après Gawker, les promotions des internes ne sont approuvées qu'après envoi de leurs photos. La source précisant que chez AA:

"votre apparence définit votre statut et le montant de votre salaire".

Avant vos compétences...

Dov Charney se défend en expliquant que seules les personnes ayant un style en adéquation avec celui de la marque sont retenues, les autres étant jugées "hors coup". Dont acte.

Depuis quelques semaines, on peut lire sur plusieurs blogs ou dans la presse des articles offusqués par la marque. La plupart d'entre eux, par paresse ou par inconsistance, la juge par le seul prisme de ses campagnes de publicité désignées comme vulgaires et racoleuses. Mais l'essentiel et le plus grave est éludé: le manquement par la marque à l'éthique dont elle a fait son fonds de commerce. N'en reste que le cynisme...

Quant au milieu de la mode, il s'en tient seulement au vernis qu'il juge "out" oubliant au passage, qu'il avait lui-même adoubé Terry Richardson au temps du Porno-Chic à coups d'articles dithyrambiques et de couvertures vendeuses. Aujourd'hui, les campagnes de Charney choquent quand celles de Richardson pour Sisley faisaient les gorges chaudes des "fashion policies ". Au même titre que le lesbianisme chic de Dior, la zoophilie d'Ungaro, l'onanisme de Saint-Laurent ou les sexes rasés de Gucci...

Il est vrai que c'était en 2000... 2000 ? Too much 2000, Darling ! Totally out !


2 commentaires:

  1. Merci de cet article intéressant ! :) J'ai eu le lien du blog par le commentaire sur Garance Doré, et j'espère trouver de nouveaux articles aussi complets prochainement ! Bon courage ;)

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