jeudi 22 juillet 2010

TOUT CE QUI BRILLE

Briller: verbe intransitif.
- Emettre une lumière éclatante ou la refléter.
- Exceller dans un domaine particulier, se distinguer par une qualité.
Synonymes: chatoyer, étinceler, exceller, faire florès, fasciner, illuminer, impressionner, irriser, irradier, miroiter, rayonner, réfléchir, reluire, resplendir, rutiler, scintiller, se surpasser.
Briller par son absence

Briller en ville

Briller de mille feux

Faire briller la vérité

Tout ce qui brille n'est pas or

Briller parmi les sots

mardi 20 juillet 2010

LA MORT DE LA HAUTE-COUTURE: UN SERPENT DE MER


Les défilés de haute-couture, en ce début du mois de Juillet, à Paris, ont fait ressurgir, dans les conversations "autorisées" et les journaux de mode en mal d'un sujet "sérieux", l'éternelle question de la pérennité de la haute-couture, à l'heure du prêt-à-porter de luxe de masse.

Mille fois donnée moribonde et dernièrement lors de la disparition de la maison Lacroix, elle nous a, lors de ces derniers défilés automne-hiver 2010-2011, prouvé une fois de plus, qu'elle était belle et bien vivante.

Qu'on ne s'y trompe pas: tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes luxueux mais les maux de la haute-couture sont les symptômes, non pas d'une mort imminente, mais d'une maladie chronique.
Prenons l'exemple de Christian Lacroix. La disparition de sa maison a été diagnostiquée un peu rapidement comme la mort inévitable de la haute-couture face au mal de la crise économique. A y regarder de plus près, les raisons de ce marasme n'ont rien à voir avec la crise (celle-ci n'a fait que porter le coup de grâce à une situation désastreuse préexistante) et concernent davantage le prêt-à-porter de la maison que sa haute-couture.
De toute façon, par essence, cette dernière ne peut être rentable puisqu'elle doit rester rare. Comme le souligne Jean-Jacques Picart, elle "ne peut être considérée comme une activité commerciale à part entière mais de plus en plus comme l'expression d'un art".
Or, en la matière, on peut dire que la maison Lacroix excellait. Son créateur, riche d'un univers particulier et doué d'un savoir-faire extraordinaire, n'a cessé tout au long de sa carrière de tutoyer l'art, n'hésitant pas parfois, à converser avec lui, notamment en créant des scénographies et des décors pour des pièces de théâtre.
Normalement, le prêt-à-porter, lui, est là, au contraire, pour être profitable. Et concernant Lacroix, ça n'a pas été une sinécure. On peut même dire que ça a été l'inverse. Comment retranscrire cette débauche de richesse de la haute-couture maison dans un prêt-à-porter moderne et frais, sans y perdre son âme ? C'est justement ce qui a été impossible.
A chaque fois je me suis rendu sur ses corners des grands magasins, j'ai pu mesurer combien il a dû être douloureux pour Christian Lacroix, de faire entrer sous la pression de ses financiers, l'étendue de son univers merveilleux, vaste et grandiose dans la petite boîte étriquée du prêt-à-porter "marketé", fût-il de luxe.
Cette petite boîte, devenue celle de Pandore, a fini par le tuer. Les chantres du profit à tout prix ont eu raison de l'Artiste.
Ce qui était féerique et fabuleux sur les podiums haute-couture a viré au tragique hideux, une fois passé à la moulinette du prêt-à-porter. La sublime Marie Seznec s'est métamorphosée en Bernadette Chirac naphtalinée...
Chez Lacroix, c'est le prêt-à-porter qui a fini par tuer la haute-couture. Un conte de fées revisité: la belle Princesse s'est transformée en vilain crapaud et plutôt que de vivre heureuse avec le Prince pour l'éternité, ce dernier a été piétiné puis déchu et assassiné par ses valets, courtiers en valeur ajoutée pour luxe boursicoté. Merci LVMH.

C'est bien là que se cache la vérité du diagnostic de la haute-couture: de santé fragile, elle vit sous la perfusion des profits du prêt-à-porter. Ce sont eux qui servent à la financer. Elle ne peut très longtemps, vivre sans. La situation de Lacroix était donc perdue d'avance ? Sans prêt-à-porter rentable, la haute-couture Lacroix était-t'elle condamnée? Rien ne peut l'assurer et encore moins si Lacroix, un peu moins gourmand s'était tenu éloigné des requins de la finance. A vouloir avoir les yeux plus gros que le ventre, il a fini par se faire croquer par plus grand que lui.
Alors, oui, c'est vrai, cent millions de parfums ou cent mille sacs rapporteront plus qu'une robe haute-couture à son créateur mais est-ce à dire que la haute-couture ne peut plus vivre pour elle-même ? Et finalement, est-ce que cette relation entre haute-couture et prêt-porter de luxe est unilatérale ? La première ne subsiste t'elle que grâce au second ? Ce serait trop simple.
Si la haute-couture existe toujours, c'est aussi parce que les grandes maisons y voient des retombées en terme d'image et de créativité et donc de vente... du prêt-à-porter. Le serpent de mer finit même par se mordre la queue.
C'est la haute-couture qui va être le moteur du désir d'appropriation par la consommatrice. La cliente lambda ne peut s'offrir une robe couture à 250.000 euros ? Qu'à cela ne tienne, on lui vendra la robe prêt-porter à 2 500. Elle ne peut toujours pas ? Elle pourra toujours se rabattre sur le sac à 1 200. Non plus ? Ben, pourquoi pas le parfum ? Elle pourra ainsi posséder un morceau de luxe inaccessible. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse...
La haute-couture édifie les mythes et fait toute la différence entre une grande maison, au passé et aux clientes prestigieuses comme Dior ou Chanel, en inscrivant leur nom au firmament de l'éternité et de petits créateurs assi talentueux soient-ils, comme Isabel Marant ou Vanessa Bruno, qui verront leur nom lié à une époque pour au mieux, une trentaine d'années.

Et puis la haute-couture crée surtout le désir de celles qui peuvent se l'offrir; et même si elles restent minoritaires, elles sont rarement touchées par les effets de la crise. Leur seule existence justifie celle de la haute-couture, bien au-delà de son rôle de locomotive de toute une industrie de la mode. On peut donc affirmer, pour cette seule, simple et bonne raison, qu'elle se suffit à elle-même.
S'offrir une pièce haute-couture c'est signifier qu'on appartient à un cercle restreint; c'est un moyen de reconnaissance sociale. Et ce besoin est très fort au sein des nouvelles fortunes originaires de Russie, de Chine ou d'Inde. Les femmes issues de ces pays entrent en haute-couture comme on entre en religion. Avec dévotion. Et au rythme où se bâtissent les fortunes dans leurs pays, tout laisse à penser que grâce à elles, et non plus seulement, aux seules américaines, aux moyen-orientales ou aux têtes couronnées, la haute-couture vivra des lendemains qui chantent.

Et ce n'est pas cette saison hiver 2010-2011 qui le démentira. On peut même dire qu'elle a pris des paris sur l'avenir en faisant une belle part aux inspirations de la nature pimpante et aux coloris clairs ou chatoyants. Pour la haute-couture, la crise est loin derrière. N'a t'elle d'ailleurs jamais existé ?
Activité florissante après-guerre, la haute-couture s'est réduite comme peau de chagrin avec la naissance du prêt-à porter, au point de ne plus concerner qu'une poignée de maisons.
Et parmi elles, la maison Givenchy, qui cette saison, a décidé de ne pas défiler. La faute à la crise ? Que nenni ma bonne Dame ! Son directeur artistique, Ricardo Tisci veut simplement que la haute-couture reste un moment exceptionnel et pour cela quoi de mieux que dix silhouettes présentées place Vendôme, sur rendez-vous ? De toute façon, la majorité de ses clientes, des têtes couronnées, ne viennent jamais aux défilés pour des raisons de sécurité. Alors qu'Anna Wintour... C'est toute la différence entre l'héritière et la modasse.

D'autres comme Anne-Valérie Hash ont préféré faire l'impasse pour préserver envie et créativité et ne pas sombrer dans les écueils d'une couture "marketée" et rythmée comme un prêt-à-porter de luxe.

Alexis Mabille préfère laisser le défilé à son prêt-à-porter afin d'éviter la confusion des genres.

Et puis, si certains n'ont pas défilé, d'autres ont transformé l'essai de la saison passée et assis leur place dans ce calendrier des défilés comme la talentueuse et rigoureuse Bouchra Jarrar.

La haute-couture est morte ? Vive la haute-couture !

Inspirations florales chez Dior et Chanel
Celles des galets de l'enfance et des couleurs de l'orage chez Stéphane Rolland
Des coloris lumineux, de la richesse, de la brillance et du brio chez Givenchy
De la rigueur moderne, du bicolore et de l'or chez Bouchra Jarrar

En France, la "haute-couture" est une appellation juridiquement protégée qui répond à un certain nombre de critères. Etablis en 1945, ces derniers ont été actualisés en 1992. La chambre syndicale de la haute-couture ne reconnaît une maison de confection comme maison de haute-couture que si celle-ci emploie un minimum de quinze personnes dans les ateliers, présente chaque saison une collection à Paris devant la presse avec au moins trente cinq passages composés de modèles du jour et du soir.
Ce savoir-faire artisanal perdure depuis plus de cent cinquante ans et est basé sur un travail des ateliers et des paruriers (plumassiers, brodeurs, modistes, etc...).
Tous les six mois, les maisons qui bénéficient de l'appellation "haute-couture" se réunissent pour décider, sur dossier, d'autoriser un styliste à défiler comme invité.

Aujourd'hui dix maisons ont une activité de haute-couture: Chanel, Dior, Givenchy, Gaultier, Anne-Valérie Hash, Dominique Sirop, Franck Sorbier, Adeline André, Maurizio Galante, Stéphane Rolland.
Les autres sont des invités triés sur le volet: Elie Saab, Armani, Valentino, Maison Martin Margiela, Josephus Thimister, Alexis Mabille, Christophe Josse, Rabih Kayrouz, Adam Jones, Gustavo Lins, Bouchra Jarrar.

mardi 13 juillet 2010

POUR VIVRE HEUREUX VIVONS CACHES



Le monde de la mode est très souvent décrit comme celui de toutes les vanités.
Ses acteurs sont perçus comme superficiels, inconséquents, cupides, intéressés, calculateurs, médisants... Pour bien connaître cet univers, je dirais qu'il n'y a pas de fumée sans feu, tout cliché recelant presque toujours un fond de vérité.
L'époque, dévolue à la célébrité, au culte du paraître, à l'image, à la forme plus qu'au fond, a accentué la perception de ces travers de la mode.
Il est évident que si cette dernière ne parvient pas toujours à précéder la société, elle en a, de tout temps, été le reflet. Et aujourd'hui, plus que jamais, le reflet et l'image ont vu leur pouvoir démultipliés par les médias modernes: télévision, photos argentique et numérique, vidéo, cinéma, internet.
Tout le monde réclame son quart d'heure de célébrité et la mode en tant que prescriptrice n'y échappe pas; au gré des pages des magazines, des blogs, les portraits s'étalent, le moindre des quidams se répand, s'épanche, s'auto-congratule, s'écoute, se regarde, s'écoute se regarder et se regarde s'écouter.

Pourtant, pendant longtemps, les artisans de la mode ont vécu leur art de façon intime et discrète. Les femmes qui en avaient les moyens, se faisaient fabriquer leurs toilettes, au sein d'ateliers de quartier, fidèles à leur couturière. Les autres se les confectionnaient elles-mêmes.
Le couturier était un travailleur de l'ombre. Comme le soulignait Christian Dior:
"Son art relevait davantage de l'ornementation que de l'architecture. Les grandes lignes du costume restaient immuables pendant des années. Elles devaient infiniment plus au changement de monarque ou de régime, qu'au caprice du couturier".
Il exerçait un travail modeste.

C'est Charles Frederick Worth qui a bousculé ce statut en le faisant passer de l'ombre à la lumière. Fondateur de la haute-couture, cet anglais, arrivé à Paris en 1845, jeta les bases de l'industrie de la mode telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Original et novateur, il fut le premier à signer ses vêtements (griffes) comme des oeuvres d'art et à les exposer dans des salons. Il se mit à créer une collection nouvelle chaque année, présentée sur des mannequins vivants en mouvement, introduisant ainsi le concept des défilés, de l'exhibition et du changement, propre à la mode.
Fidèles clientes, Eugénie Bonaparte et l'Impératrice Sissi d'Autriche firent beaucoup pour la célébrité et l'avancée sociale de Worth.
Dès lors, le statut du couturier ne va cesser de prendre du galon.

Dans les années 1900, ce sont les comédiennes qui vont mettre la mode sous les feux de la rampe. Sarah Bernardt sera la meilleure ambassadrice de Doucet en étant à la fois, son conseil et sa cliente.
Elle marquera ainsi le début de la collaboration entre les maisons et les actrices. La notoriété de ces dernières rejaillissant sur les marques et leurs créateurs, elles vont, dès les années 70, vendre leur image à prix d'or pour incarner l'univers d'une collection, d'un sac ou d'un parfum.

Gabrielle Chanel fut certainement une des couturières les plus avides de célébrité et de reconnaissance sociale. Pour y parvenir, elle n'hésitait pas à romancer sa biographie en recourant au mensonge et à la fiction. A l'instar d'un Lagerfeld, aujourd'hui.

Durant la deuxième guerre mondiale, la mode fut reléguée aux oubliettes, face aux difficultés quotidiennes pour se nourrir.

Elle réapparaîtra dans la lumière des années 50 avec Christian Dior et le new-look.

Mais c'est certainement Yves Saint-Laurent, dans les années 60 et 70 qui cristallisera toutes les vanités du milieu de la mode. Sa cour verra papillonner autour de lui de jeunes rastignacs du jour et de la nuit, soucieux de partager un peu de sa célébrité. Sa sacralisation, savamment orchestrée par Pierre Bergé, s'incarnera dans le fameux cliché de Jean-Loup Sieff, pour lequel il posa nu, habillé seulement de ses célèbres lunettes en écaille.

Les années 80 vont, elles, donner lieu à une véritable starification des créateurs. La nouvelle garde française émerge avec l'avènement de l'image reine, du clip et de la pub: Gaultier, Lacroix, Mugler. Ce dernier sera l'instigateur de défilés transformés en véritables shows sons et lumières auxquels assisteront des centaines de personnes. Une vraie ambiance de spectacle. De concert.
Les lieux de défilés deviennent de véritables cathédrales, les podiums, des lieux plus courus que les estrades des meetings politiques, les créateurs de véritables sujets télévisuels. On leur demande leur avis sur tout, des documentaires et des reportages leur sont consacrés. Ils occupent la scène médiatique.
Conscients de leur pouvoir émergeant et tombant avec délectation dans le miroir aux alouettes, ils en font des tonnes, en rajoutent. Au risque de se caricaturer.
Dans les années 90, John Galliano se grime de façon grotesque et ses apparitions à la fin des défilés sont des moments aussi attendus que le défilé lui-même.
Karl Lagerfeld refaçonne sa silhouette et se fend de déclarations tonitruantes et acerbes, en héritier de Coco Chanel.
Marc Jacobs, véritablement mis en avant par LVMH, exhibe ses tatouages ridicules et colorés sur tous les magazines de mode.

Les mannequins eux-mêmes vont faire l'objet de toutes les idolâtries. Celles que l'on nommait les "supermodels" dans les années 90, ont pendant dix ans, supplanté les plus grandes stars de cinéma: la forme plutôt que le fond.
Elles font exploser les ventes et l'audimat. Peter Lindbergh consacrera un film documentaire en noir et blanc à ces icônes du moment: Cindy crawford, Claudia Schiffer, Christy Turlington, Naomi Campbell, Stephanie Seymour, Tatjana Patitz, Karen Mulder, Helena Christiansen et Linda Evangelista. Cette dernière fera une déclaration restée célèbre dans le milieu:
"Je ne sors jamais de mon lit pour moins de dix mille dollars par jour."
Le sommet de la vanité.

Aujourd'hui les bloggeuses ont pris le relais; elle ouvrent leurs armoires aux yeux du web, se photographient sous tous les angles, pérorent sur leurs dernières acquisitions, ont un avis (pas souvent objectif) sur le moindre des défilés et boivent comme du petit lait leur nouvelle et relative célébrité.

Impossible d'ouvrir un magazine de mode sans voir une actrice ou une quelconque célébrité vider son sac au sens propre comme au figuré, parler de ses restaurants ou de ses marques préférées. Nous n'échapperons pas à leurs gestes beauté ou aux adresses de mode qu'elles chérissent.

Regarde mon nombril parce qu'il le vaut bien.

Dans ce contexte dégoulinant d'exhibitionnisme et d'auto-satisfaction, un homme fait figure d'exception: Martin Margiela.
Son absence de la scène médiatique s'est transformé en un véritable coup de force marketing. Malgré lui ? Ce n'est pas sûr mais ça suffit à me le faire trouver sympathique. D'autant que tous ceux qui ont pu l'approcher le confirment: l'homme est humble, agréable et discret.
La maison Margiela préfère laisser parler ses créations plutôt que d'occuper les medias à tort et à travers. Raffraîchissant...et reposant.
Comme le blanc, marque de fabrique de la maison, qui par sa lumière et sa distinction a un impact plus fort que le moindre des discours.

Martin Margiela est un anachronisme, un parangon d'élégance et de discrétion dans un cirque de la mode, peuplé de monstres à l'ego boursouflé.
Il prouve que le talent ne fait pas de vagues, sauf pour de bonnes raisons.
En attendant le bûcher des vanités, il est le seul à avoir compris que pour vivre heureux, mieux vaut vivre caché...



mardi 6 juillet 2010

LA GUERRE EN DENTELLES





Ces quelques images d'inspiration donnent envie de légèreté et de transparence dans cette lourde chaleur estivale.
J'aime leur raffinement, leur délicatesse, avec une préférence pour les guipures anciennes chinées aux puces.

La dentelle est un tissu sans chaîne ni trame, en général en fil de soie, lin, nylon ou fibres plus riches selon les cas, exécutés par les dentelliers(ères) à la main ou à la machine, à l'aide de points semblables ou non formant un dessin à bords dentelés ou non.

L'ÂGE D'OR DE LA DENTELLE

L'origine de la dentelle est très difficile à déterminer mais ses premières traces sont relevées dans la région de Venise où elle aurait vu le jour au XVIe siècle.
Appelée au départ passementerie, elle apparaît pour la première fois, sous le vocable de dentelle, en 1545, dans l'inventaire de la dot de la soeur de François Ier.
C'est à Colbert que revient l'initiative d'introduire en France la véritable industrie de la dentelle car auparavant, les produits français ne pouvaient, en aucun point de vue, soutenir la comparaison avec ceux issus d'Italie.
Vers 1665, il fait venir de Venise des ouvrières en dentelle et les établit dans son château près d'Alençon.
Il crée la Manufacture des points de France dont le siège est situé à Paris.
Des édits sévères interdisent d'importer des dentelles étrangères et des avantages considérables favorisent la Manufacture à sa naissance.
Bientôt, Lille, Valenciennes, Dieppe, Le Havre, Honfleur, Pont-Lévêque, Caen, Gisors et le Puy voient aussi se développer ce savoir-faire.
Très vite la France suffit à ses besoins et sa production est même exportée dans les pays étrangers.
A l'époque, la fabrication est manuelle et se fait selon différentes techniques:
- aux fuseaux (dentelle de Chantilly)
- à l'aiguille (dentelle d'Alençon, la reine de la dentelle)
- à la main
- au crochet
- à la navette
Naissent alors la blonde, réalisée aux fuseaux à base de soie écrue ou de fils d'or et d'argent, le chantilly noir ou blanc fait au fil de soie et représentant des corbeilles, des vases ou des fleurs, le Cluny qui est le plus connu, fait de fils continus aux motifs géométriques ou la guipure qui est une dentelle sans fond (les motifs recouvrent tout).
A la cour de Louis XIV, la dentelle envahit la toilette des hommes aussi bien que des femmes. Cette passion continuera sans faillir jusqu'à la révolution ou grands et petits, noblesse et tiers-état l'adopteront.
Elle disparaîtra avec la noblesse à la Révolution mais réapparaîtra à l'ère de l'industrialisation: plus légère, elle sera alors produite en un mois, là où une année entière était nécessaire auparavant.
En 1809, John Heathcoat, jeune mécanicien, inventa près de Nottingham, le premier métier à tulle composé d'un système à bobines et chariot. Un brevet fut déposé et la production de la dentelle en fut totalement bouleversée.
 Les douanes françaises de l'époque ne permettaient pas le commerce avec l'Angleterre et cette dernière interdisait la transmission de sa découverte à l'étranger.
Pourtant, des machines entrèrent sur le territoire français en toute illégalité et en pièces détachées et furent remontées et établies dans le Nord-pas-de-Calais, à Saint-Pierre les Calais et à Caudry.
En 1830, un certain Leavers eut l'idée d'allier la technique jacquard au procédé mécanique de John Heathcoat, faisant ainsi passer le métier à tulle à celui à dentelle, permettant une liberté totale dans la création des motifs.
Bientôt Calais et sa région devinrent renommés internationalement pour la qualité de leur dentelle industrielle imitant la dentelle à la main.
Le XIXe siècle marqua l'apogée de l'industrie française de la dentelle mais le XXe va voir s'effondrer le savoir-faire national pour plusieurs raisons.

LA CRISE NE FAIT PAS DANS LA DENTELLE

Le marché de la dentelle concerne surtout le marché du produit fini. Considérée comme une matière première, la dentelle intéresse surtout la lingerie et la haute-couture. Les maisons qui sont parvenues à se maintenir au cours des XXe et XXIe siècles, l'ont pu grâce à la renommée qu'elles ont su se bâtir dans ces milieux.
La maison Solstiss basée à Caudry en fait partie. Cette entreprise se concentre sur la qualité, quitte à ne pas afficher des prix bon marché, afin de pouvoir remplir ses carnets de commande auprès de la haute-couture et de la lingerie haut-de-gamme. 
Mais ces maisons sont une exception dans le paysage actuel. La dentelle "made in Calais" connaît un déclin qui semble inéluctable.
Jusqu'en 1910, Calais comptait 580 fabricants et 2278 métiers. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 10 et 285 métiers, ce qui représente moins de cinq cent emplois.
Journalistes économiques, Morgane Railane et Thierry Butzbach décrivent dans un ouvrage documenté les raisons de ce marasme (1).
Selon eux, une de ces raisons concerne la mondialisation du marché:
- l'arrivée de la dentelle tricotée "a cannibalisé le marché haut-de-gamme Leavers". Ce dernier a souffert de la concurrence asiatique, tel le japonais Sakae qui s'est fourni en Europe en métiers avant de repartir en Asie. Il fait aujourd'hui partie des quatre géants mondiaux.
- la dentellerie a aussi beaucoup souffert de l'irruption de la "fast fashion" dans la lingerie, dont le suédois H&M a donné le coup d'envoi, avec un "accroissement des volumes commandés mais une baisse vertigineuse des prix".
- enfin, de nombreuses marques françaises de lingerie sont passées sous pavillon étranger et ont donc délocalisé une bonne partie de leur production en Europe élargie, ce dont pâtit l'industrie de la dentelle.
Ces marques tuent le marché en faisant croire qu'elles utilisent de la dentelle de Calais pour justifier leurs prix alors qu'elles utilisent de la broderie.

Mais les effets de la mondialisation n'expliquent pas tout. L'industrie française est également largement responsable de la situation dans laquelle elle se trouve aujourd'hui.
Ainsi, rien n'a réellement été mis en place pour la transmission des savoir-faire en France.
"Toute la génération des tullistes qui a commencé à travailler durant l'après-guerre est partie à la retraite dans les années 80"; Or, eux seuls maîtrisaient totalement les métiers Leavers. Certaines usines ont du aller en chercher pour qu'ils réenseignent leur savoir". Rien n'avait été prévu en amont pour pallier la pénurie des savoirs. De plus, par tradition, les tullistes "choisissent leurs élèves" et transmettent leur savoir-faire à l'oral: aucun mode d'emploi des techniques n'existe actuellement. Les institutions ont du se battre pour conserver la formation des tullistes.
Mais la raison la plus grave du déclin de l'industrie dentellière en France tient surtout à l'attitude de la profession elle-même.
Les entreprises ne sont jamais parvenues à s'entendre et à s'allier pour faire face à la concurrence. Certaines d'entre elles ont connu de graves conflits internes ou ont fait des erreurs stratégiques comme des tentatives d'extension à l'étranger qui leur ont coûté leur place de leader sur le marché.
Elles sont allées jusqu'à vendre leurs propres métiers Leavers en Asie, à ouvrir des filiales, à offrir leur savoir-faire, en quelque sorte.
De plus, elles n'ont jamais fait évoluer leur outil de production, laissant la concurrence fabriquer des machines plus adaptées au marché actuel. Ainsi le métier Raschel qui imite la dentelle va quatre fois plus vite que le Leavers.
Les fabricants français ont fait preuve d'arrogance face à la concurrence et pensaient continuer à faire des profits confortables sans investissements. Ils n'ont pas réalisé que leur position pourrait un jour être concurrencée. 

L'avenir semble donc sombre pour l'industrie dentellière française. Bien sûr, la haute-couture et les grandes marques de lingerie comme Aubade ou Chantal Thomass ou même des entreprises d'ameublement continuent à être clients. Mais les commandes sont extrêmement limitées. Comme l'a compris la société Solstiss, "la dentellerie est vouée à devenir un marché de niche".
L'attitude des pouvoirs publics semble, d'ailleurs, l'avoir déjà remisée sur les étagères du passé en créant à Calais une cité internationale de la dentelle et de la mode, inaugurée le 11 Juin 2009.
Si l'entreprise est louable, elle fait malheureusement l'impasse en son sein, sur la situation actuelle.
Et ce ne sont pas les cinq machines Leavers qui s'y trouvent qui vont permettre d'inverser la tendance. Seul un investissement en recherche-développement ou la conquête de nouveaux marchés permettra au secteur d'être sauvé et de continuer à produire les dentelles les plus fines, les plus légères et les plus raffinées du monde.

1- "Qui veut tuer la dentelle de Calais ?" de Morgane Railane et Thierry Butzbach.

* A voir: "Arsenic et vieilles dentelles", comédie de Franck Capra, 1944
* A lire: La Dentellière de Pascal Lainé, 1972 


* A admirer: La dentellière de Vermeer, 1669-1670, Musée du Louvre, Paris

mardi 29 juin 2010

RALPH LAUREN: SOUS LES FEUX DE LA RAMPE... ET DE LA CRITIQUE

Cela faisait plus d'un mois que nombre de mes amis me tannaient le cuir pour me rendre à la nouvelle boutique de Ralph Lauren, annoncée comme la plus grande de la maison sur le continent européen. Tous s'étaient joints à la procession des "fashion people" et avaient fait le pèlerinage pour se rendre sur le lieu Saint: le 173, boulevard Saint-Germain.
Et en étaient revenus enchantés, élogieux et dithyrambiques:
-"Magnifique !
- Sublime !
- Hallucinant !
- Quoi ?! Tu n'y es pas encore allé ?!!!
- Il faut ABSOLUMENT que tu vois ça !"

En général, je n'aime pas la frénésie qui entoure un évènement. Cette espèce d'excitation artificielle qui crée une attente telle que lorsqu'on découvre l'objet du désir, on est forcément déçu.
Il faut dire aussi, pour être tout à fait franc, que ma nonchalance était liée à mon désintérêt pour Ralph Lauren. J'ai toujours trouvé leurs campagnes ringardes et les collections estampillées "bon goût américain" totalement ennuyeuses.
Quant à la marque RL, je l'ai toujours considérée comme une ligne noyée dans le flot des marques jeanswear; aussi passionnante que les championnats du monde de curling... Bref, pas ma came.

J'ai donc laissé passé deux mois après l'ouverture pour aller visiter les lieux, par une chaude journée écrasante.
Un peu comme au cinéma, lorsqu'on va voir un film longtemps après sa sortie, histoire d'échapper à la transhumance et au battage médiatique qui pourrait nous empêcher de nous faire un avis totalement objectif, là, confortablement calé, au fond de la salle obscure, au frais (ou au chaud selon la saison).
Qu'est-ce qui aurait pu me faire aimer un bon plan marketing, aussi beau soit l'écrin ?

Ne voulant pas mourir idiot et réalisant que pour cela, le transport jusqu'à Saint-Germain-des-Prés serait plus rapide que la lecture entière de la saga des Rougon-Macquart, j'y suis allé.

Bien m'en a pris. J'ai été totalement conquis par le lieu bien sûr (marketing réussi) mais même par certains éléments de la collection.
J'ai été transporté par mes déambulations et suis ressorti totalement bouleversé par ce temps suspendu que je venais de vivre et qui a duré presqu'une heure.
Alors que j'étais ravi de cette découverte et prêt à faire mea culpa de mes préjugés, je suis tombé sur quelques articles qui ont soudainement mis un bémol à mon enthousiasme.
C'était trop beau pour être vrai: le lustre n'était donc pas aussi brillant que ce que j'avais vu ?



173, BOULEVARD SAINT-GERMAIN: "ICI TOUT N'EST QU'ORDRE ET BEAUTE, LUXE, CALME ET VOLUPTE"

Ralph Lauren, dont l'empire est né d'une simple boutique de cravates en 1967 voulait que ce nouvel espace, sur la rive gauche, soit un évènement:
"J'ai voulu créer un espace évoquant le glamour, la culture et l'esprit artistique de Paris, dont je suis tombé amoureux".
En jetant son dévolu sur un hôtel particulier du XVIIe siècle de 2150 mètres carrés, classé aux monuments historiques, il a rempli son ambition.
Le lieu est superbe et magnifiquement restauré; toute sa réussite consiste à nous faire déambuler dans un espace à la fois majestueux et intime. On a l'impression de visiter les appartements d'une famille de la haute-bourgeoisie ou de l'aristocratie.
On se promène au travers de pièces en enfilades alternant les collections et les ambiances et parsemées de cabines d'essayages.




Elles sont distribuées autour d'un grand escalier avec boiseries couvertes de portraits et peintures expressionnistes, desservant cinq étages et s'articulant autour d'un magnifique ascenseur en métal typiquement parisien.

Chaque étage est dédié à une ligne de la marque (Black label, Blue Label, Collection pour les femmes; Black Label, Purple Label et Polo pour les hommes) ainsi que les accessoires et l'horlogerie.


Le dernier étage, lui, est consacré à double RL avec de sublimes bijoux (Harpo ?)

Je dois avouer que j'ai été complètement séduit par la maroquinerie et les pièces en cuir et en daim de la ligne COLLECTION qui sont magnifiquement manufacturées.

Le reste m'a moins plu, mais ça je le savais déjà. Le flacon est si beau, qu'importe l'ivresse...
Tout le brio de l'affaire réside dans sa mise en scène bien sûr: ambiance chic et feutrée qui allie la beauté américaine au chic français. Les pièces sont emplies d'objets chinés qui plantent le décor et déroulent l'histoire des collections. 


Le comble du raffinement est atteint avec un restaurant ,"le Ralph's" qui vous vend de la nourriture américaine presque au prix de la gastronomie française (il faut dire que la viande est directement issue des cheptels de Ralph Lauren en Amérique du Sud !).
Ce restaurant, aménagé au rez-de-chaussée et dans les anciennes écuries, est cosy comme un club pour gentlemen et bénéficie d'une sublime terrasse pavée et arborée installée dans le patio. 

Je suis ressorti totalement ébahi et léger mais mon enthousiasme est vite retombé lorsque j'ai appris ce qui se cachait derrière ce fabuleux décor.
Car tout cela a un prix et j'aurais voulu croire qu'il était seulement dû à la maestria de Ralph Lauren. En fait, le prix cassé du travail de travailleuses indonésiennes permet aussi ce rêve merveilleux...

PT MULIA KNITTING FACTORY: LA-BAS, LE PRIX DE LA SUEUR

Le jour de l'ouverture de sa boutique germanopratine, Ralph Lauren a reçu la légion d'honneur des mains de Nicolas Sarkozy, en présence de Karl Lagerfeld, son ami , lui-même honoré de la même façon deux mois plus tard (cf. l'article le K. Lagerfeld).
Le mois d'avril semblait commencer sous de bons auspices pour le créateur américain, sauf que l'organisation de la Fédération des Peuples solidaires a décidé qu'il en irait autrement.
En effet, elle a dénoncé l'honneur qui lui a été fait par la France, le contestant en raison du fait que le designer "ignore depuis plusieurs années les demandes qui lui sont adressées par les ouvrières indonésiennes qui fabriquent ses vêtements et dont les droits sont bafoués".
L'association a rendu public un communiqué de presse déclarant:
"A l'heure où Ralph Lauren s'apprête à recevoir des mains du chef de l'état la légion d'honneur, les conditions de travail dans lesquelles sont fabriqués les vêtements de luxe portant son nom demeurent très en-deçà de ce qu'exigent les normes fondamentales internationales du travail".
"Plusieurs fois sollicité à ce sujet, Ralph Lauren refuse de répondre, ajoute-t'elle, rappelant que, les conditions de travail chez un de ses fournisseurs ont déjà valu plusieurs campagnes de dénonciation et de procès" au groupe américain.
L'organisation fait valoir qu'en 2008, Peuples Solidaires avait lancé un "appel urgent dénonçant le licenciement abusif, un an plus tôt, de dix neuf salariés d'une de ses usines sous-traitantes en Indonésie".
Ce licenciement aurait eu lieu en raison de "la création par ces salariés d'un syndicat pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail".
Malgré le bruit fait autour de cette affaire auprès de la société Ralph Lauren, "rien n'a bougé" trois ans après.
PT Mulia knitting factory, l'usine incriminée, "multiplie les contrats précaires et applique une politique discriminatoire envers les femmes. Elle refuse de payer les congés maternité et les indemnités obligatoires de santé et de retraite auxquels ces travailleuses ont droit".
Elles ne bénéficient pas non plus des équipements de sécurité adéquats qui leur permettraient de travailler dans des conditions sûres."
L'ensemble de ces infractions est faîte à la fois à l'encontre du droit indonésien mais aussi au mépris des normes fondamentales du travail contenues dans le droit international.

L'organisation s'étonne de la cécité et du silence de la compagnie américaine sur ces violations d'autant qu'en 1997,  la Société Ralph Lauren a élaboré un code de conduite de son entreprise et participe régulièrement à "divers programmes philanthropiques", ce qui l'amène à "être vue comme une entreprise vertueuse".
L'organisation interprète la position de Ralph Lauren comme admettant la violation des droits de ses sous-traitants. Elle dénonce le fait qu'il les laisse perdurer, alors que de son côté, Tommy Hilfiger, confronté à ce type de problème, a accepté d'engager des discussions à ce sujet.
Même si des solutions n'ont pu être trouvées, l'acceptation de Hilfiger a mis en exergue, la passivité de Ralp Lauren.

Cette découverte a pas mal gâché mon plaisir. Tout à coup, je n'ai plus vu du même oeil, les polos colorés joliment pliés et rangés dans un souci de mise en scène chic et glamour. Les coulisses encombrées sont venues déranger cette armoire bien proprette.
Et puis, du coup, il est encore moins question que j'aille manger un vulgaire hamburger facturé 25 euros, aussi joli soit l'écrin-jardin où il me sera servi...